Devoir de réserve : définition
Si vous êtes juriste en collectivité territoriale ou de manière plus large dans la fonction publique, n’hésitez pas à passer directement au témoignage de Farah Zaoui.
Le devoir de réserve implique, comme son nom l’indique, de faire preuve de retenue dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles.
Si vous vous apprêtez à devenir juriste dans la fonction publique, le devoir de réserve n’est pas une interdiction pour vous d’exercer vos droits les plus élémentaires en tant que citoyen.
Un juriste dans la fonction publique dispose évidemment de toute l’étendue de sa liberté d’opinion et d’expression. Néanmoins, il doit faire preuve d’une certaine discrétion voire retenue quant à leurs modalités d’expression.
Caractéristiques du devoir de réserve des fonctionnaires :
- S’applique pendant et en dehors du temps de travail
- Son respect est évalué par l’autorité hiérarchique dont dépend l’agent
- Son non-respect peut conduire à une procédure disciplinaire
Si vous êtes juriste dans la fonction publique, votre devoir de réserve s’appliquera plus ou moins différemment en fonction de votre place dans la hiérarchie, du contexte dans lequel vous vous êtes exprimés, de la portée de la diffusion de vos propos et de la formulation de vos propos.
Autres questions posées
Exemples de non-respect du devoir de réserve
- Critiques exprimées publiquement vis-à-vis de la gestion et du fonctionnement de l’administration dans le cadre d’un reportage télévisé
- Publication d’un ouvrage contenant des propos diffamatoires, injurieux ou violents à l’encontre de l’administration et de ses collaborateurs
- Exprimer son désaccord avec la politique menée par sa collectivité territoriale dans le cadre d’une interview accordée à un média
Retour d’expérience de Farah Zaoui, Directrice Juridique @Anticor
Comment faire quand on est juriste dans la fonction publique, sous l’autorité d’un élu d’une couleur politique différente de la nôtre ?
Un non sujet pour certains, une profonde réflexion pour d’autres.
“Ça a été tout l’enjeu de la fin de mon Master II et c’est cela qui m’a mené vers Anticor !” nous confiait Farah.
De la fonction publique à la lutte contre la corruption – Sur les plateaux TV ou dans les salles d’audience, Farah a décidé de mettre ses engagements, ses valeurs et son expertise au service de l’intérêt général. Avant de rejoindre Anticor et d’arriver à cette conclusion, Farah a d’abord travaillé en tant que chargée missions juridiques au sein du Ministère de l’Intérieur.
“Je garde une très bonne expérience de mon expérience au Ministère de l’Intérieur.” nous confiait-elle. En 2019, alors que la crise des gilets jaunes éclate, Farah travaille au sein de l’équipe juridique de la Place Beauvau. “En tant qu’agent de la fonction publique, normalement la couleur politique ne devrait pas être un critère. On est agent du service public avant toute chose. Si on est agent dans une mairie et qu’il y a une alternance, on ne quitte pas la mairie parce que le maire perd les élections par exemple.”
Du gagne-pain à la quête de sens – Longtemps synonyme de gagne-pain et de nécessité, le travail est devenu une véritable expression de soi pour la majorité des actifs. Trouver du sens au travail. Travailler pour une structure qui correspond à nos valeurs. Joindre l’épanouissement professionnel et personnel. Les préoccupations des salariés ont particulièrement évolué ces dix dernières années. D’ailleurs, 87% des salariés accordent de l’importance au sens au travail selon une étude Deloitte et Viadeo menée en 2017.
Cette quête de sens concerne-t-elle également les juristes dans l’administration publique et plus généralement les agents de la fonction publique ? Au-delà d’avoir le sens du service public chevillé au corps, la couleur politique peut également impacter le fonctionnement d’une collectivité.
Selon Farah, il ne faut pas oublier “qu’il y a des questions très pratico-pratiques qui s’appliquent [en fonction des couleurs politiques]. La gestion d’une collectivité n’est jamais neutre. Jamais neutre.” insiste-t-elle. Au-delà des opinions politiques personnelles des agents publics, “c’est la manière dont on va gérer l’argent, ses services, dont on va subventionner les associations. Ca peut impacter notre qualité de travail, notre qualité de vie et notre vision de la société.” nous explique Farah.
“Je ne vais pas citer de communes pour m’éviter des soucis mais il y a des collectivités qui ont radicalement changées une fois qu’elles ont été soumises à une nouvelle sensibilité. Des services totalement réorganisés, des aides redirigées et forcément ça abime le tissu local. Quand vous êtes chargé du dialogue associatif au sein d’une collectivité, que la majorité change et que vos contacts changent : ça a impact concret sur vos fonctions.”
Des affaires qui sèment le doute – La question du sens se pose d’autant plus face à certaines situations rencontrées par Farah Zaoui au sein d’Anticor, une association fondée en 2002 pour lutter contre la corruption et rétablir l’éthique en politique.
Conflits d’intérêts, favoritisme, détournement de biens et de fonds publics, prise illégale d’intérêts et trafic d’influence etc… les griefs prononcés à l’encontre d’une collectivité territoriale peuvent être vécus comme de véritables traumatismes.
”Quand il y a des affaires aussi qui touchent la collectivité, ça a un impact sur les services. On y pense assez peu, mais quand votre élu est mis en cause pour des affaires qui se passent dans la collectivité, qu’il y a une perquisition au sein de la collectivité, ça n’est pas forcément quelque chose qui est bien vécu par les agents.”
Aujourd’hui de l’autre côté, Farah fait preuve de beaucoup d’empathie à ce sujet. “J’ai beaucoup de compassion lorsque ça se passe. Je ne le prends pas du tout sous le versant sensationnaliste parce que je sais à quel point c’est difficile”.
C’est une question de choix – Alors est-il possible de totalement mettre de côté ses opinions politiques personnelles alors qu’on applique au quotidien une politique d’une couleur différente ?
“C’est une question de choix. De se dire, je peux en toute connaissance de cause m’impliquer dans un service, en étant fonctionnaire ou contractuel, d’une sensibilité qui ne sera pas la mienne et de l’accepter.
Il existe deux cas de figures selon Farah :
- “Soit on y va vraiment en aillant ça en tête et en se disant que la sensibilité de son élu est radicalement, sensiblement ou un peu différente de la sienne et on intègre que les décisions qui seront prises par l’exécutif de la collectivité ne seront pas celles qu’on aurait voulu voir entrer en vigueur : on est agent, on applique, on exécute.”
- “On se rend compte que c’est trop difficile et là il faut faire d’autres choix.”
Farah a emprunté la deuxième voie.
“Je pense qu’il y a des personnes qui ont cette faculté, que j’admire, de mettre leur individualité de côté au service de l’intérêt général. Et c’est ce qui faudrait faire dans l’idéal : être le vecteur de l’intérêt général.”
Face à certaines situations, peut-il y avoir un risque à mettre ses valeurs de côté lorsqu’il s’agit de défendre le service public ?
“C’est une question de libre arbitre et de la manière dont on voit son exercice. Je pense qu’il y a aussi un risque dans le fait de faire ça. Il y a des valeurs qui doivent être martelées pour préserver cet intérêt général et la qualité du service public. Chacun ses valeurs, on ne peut pas graduer, jauger les valeurs des uns et des autres.”
C’est un enjeu et une lutte constante. Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose de linéaire et qu’on se dise que toute sa vie on va mettre de côté ses valeurs. C’est pour ça qu’on a parfois des personnes qui se révèlent face à certaines pratiques et qui lancent l’alerte.
Retrouvez l’intégralité de l’épisode consacré à Farah Zaoui sur Paroles de Juristes 👇
Propos recueillis par Selma Khaled dans le cadre du podcast Paroles de Juristes.